Retrouvez toute
l’actualité bonne étoile
Réseau L’actualité du réseau bonne étoile
Mandataires et agents immobiliers : deux modèles professionnels complémentaires au service des ménages
Henry Buzy-Cazaux, le président de l’Institut du Management des Services Immobiliers, revient sur la querelle qui oppose les agents immobiliers « classiques » aux nouveaux réseaux de mandataires. Une bataille bien inutile selon lui, tant ces modèles sont complémentaires.
TRIBUNE LIBRE
Dans l’univers de la transaction immobilière, c’est décidément le phénomène de ces dix dernières années : l’avènement des réseaux d’agents commerciaux indépendants, sur lesquels un jeune économiste – qu’on dit visiteur du soir à l’Élysée -, Vincent Pavanello, vient de se pencher dans un rapport. Ils se sont donné un nom étrange, qui a agacé les agents immobiliers, « réseaux de mandataires »… Le débat sémantique échappe totalement au public, comme d’ailleurs la querelle qui a opposé et oppose encore une partie de la communauté des agents immobiliers au sens classique du terme, exerçant dans une agence physique, et ces nouveaux entrants. Quels débats de mots et de statuts ?
Le sujet est simple. Un agent immobilier est lui-même titulaire d’un mandat de vente ou de location – il est à ce titre un mandataire de ses clients – parce que la loi l’y habilite en exigeant de lui une aptitude attestée par de la formation ou de l’expérience, par une assurance en responsabilité civile, éventuellement une garantie financière s’il s’engage à percevoir des indemnités d’immobilisation lors de la réservation d’un bien par un acquéreur. Il doit aussi prouver n’avoir jamais fait l’objet de condamnations pénales lourdes, affectant le casier judiciaire. Ainsi, répondant à ces critères, l’agent immobilier se voit décerner par la Chambre de commerce du lieu d’exercice une carte professionnelle valant autorisation d’exercer. L’agent commercial, sur qui ne pèse pas toutes ces contraintes, n’est pas directement titulaire d’un mandat de vente ou de location, et le tient d’un porteur de carte professionnelle, qui lui donne mandat de travailler sous couvert de sa propre autorisation d’exercer, en faisant ainsi son mandataire. Dans les réseaux constitués, un dirigeant titulaire de la carte délègue les mandats à ses correspondants agents commerciaux.
Si vous avez lu jusqu’au bout cette explication juridique, vous avez déjà du mérite. Elle n’est pas sans intérêt mais il faut reconnaître qu’elle ne renvoie pas à des réalités commerciales de base. La réalité, c’est qu’entre les 2/3 et les 3/4 des négociateurs au service des ménages désireux d’acheter ou de louer sont des agents commerciaux indépendants, non salariés. Les négociateurs salariés représentent la minorité des forces vives opérationnelles de la transaction immobilière. Quelques pionniers en France dans les années 90, inspirés d’un modèle inventé aux États-Unis dix ans plus tôt, ont eu l’idée de créer des réseaux d’agents commerciaux immobiliers, partageant des pratiques, des outils, exerçant sous une enseigne commune, respectant les mêmes valeurs, mais restant indépendants. Bien avant eux, les agents immobiliers avaient l’habitude de recourir à des agents commerciaux, pour compléter leurs forces de vente ou de location. Il s’est en quelque sorte agi d’industrialiser le système.
Aujourd’hui, les leaders s’appellent IAD, Safti, Capifrance, OptimHome, Propriétés privées, parmi une centaine de réseaux en France, et rassemblent sans doute 35.000 indépendants, soit presque la moitié du vivier des négociateurs non salariés, l’autre moitié travaillant pour des agences immobilières ayant pignon sur rue. On crédite ces réseaux de près de 20% des parts du marché intermédié.
>> Notre service – Estimez le prix d’un bien immobilier (immédiat, gratuit et sans engagement)
Bref, ils ont pris leur place dans le trafic, pour reprendre le joli titre de Francis Cabrel en 1981 – on ne cite pas assez Cabrel dans ce pays. Pourtant, la communauté immobilière ne les a pas encore accueillis les bras ouverts. On aime encore poser une hiérarchie entre les premiers arrivés dans l’histoire et ces nouveaux entrants. Une récente loi a même protégé le titre d’agent immobilier, dont les agents commerciaux ne peuvent se revendiquer sans encourir de contravention… L’opinion est indifférente à ces débats, mais il faut savoir qu’ils ont lieu !
Bien sûr, les spéculations vont bon train : les seconds vont-ils manger les premiers ? Non, l’économie peut ressembler à une jungle mais elle peut aussi s’organiser avec une certaine intelligence. On n’a pas assisté à une mortalité des agences traditionnelles alors que les réseaux de mandataires se développaient . On n’a même pas constaté de baisse de leurs parts de marché. La probabilité que les réseaux de mandataires aient converti une partie du marché de gré à gré en marché intermédié est forte : des honoraires plutôt plus bas grâce à des charges réduites, un modèle plus doux, avec des conseillers qu’on rencontre dans des lieux moins marqués que les agences, voilà qui convainc. Et puis, oui, une part du marché des agences les moins établies ou à moins forte valeur ajoutée a dû passer dans leur main. Enfin, on a entendu que les réseaux constituaient une menace pour les franchises d’agents immobiliers : là non plus, on n’en voit pas d’indice et le succès de la plus récente des marques, Plaza Immobilier, illustre que le modèle n’est pas périmé.
>> A lire aussi – Vente immobilière : fixez vous-même la commission de votre agence !
En pratique, les deux modèles se sont rapprochés : les agents immobiliers se sont digitalisés et les réseaux, hors contraintes liées à la crise sanitaire, ont compris l’utilité des moments et des lieux de réunion physique, créant pour certains des espaces de coworking, multipliant les conventions et les séminaires. La localisation et l’incarnation rassurent : ces temps numériques sous l’empire de la nécessité nous montrent le risque majeur de dislocation du tissu humain et de l’équilibre de la société. Les deux modèles proposent en somme des réponses distinctes.
C’est tellement vrai qu’il faudrait que ces évidences s’imposent et que les deux parties de la profession n’en fassent qu’une au sein des trois syndicats de référence de la transaction immobilière, la FNAIM, l’UNIS et le SNPI : l’opinion les confond à juste titre puisque les deux participent à apporter des solutions pour le logement des familles, avec cœur et compétence. À ce jour, une seule de ces organisations professionnelles, l’UNIS, a reconnu officiellement ce modèle. Au sein de l’instance représentative près le gouvernement des métiers de service à l’immobilier, le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI), pas de siège dévolu à un dirigeant qui incarne ce modèle. Quant à la commission de contrôle, instance disciplinaire que l’État doit nommer depuis…2014, on verra si elle fait une place aux réseaux de mandataires : on n’imagine pas que la ministre néglige un cinquième des transactions en France au point de ne nommer personne qui représente cette part du marché.
Agents immobiliers mandataires contre réseaux d’agents commerciaux mandataires ? Cette querelle intestine n’a pas de sens. Quand cette communauté professionnelle cessera d’épuiser une part de son énergie dans des querelles que l’opinion ne comprend même pas, mais ressent tristement, elle aura une image plus rassurante et plus convaincante. Et elle augmentera son taux de pénétration, qu’elle estime à 65%, mais que certains observateurs considèrent comme inférieur. Et puis tout n’est pas affaire de chiffres : une profession qui n’intègre pas la diversité de ses formes – lorsque chacune a prouvé sa respectabilité – s’appauvrit. Elle se fragilise aussi aux yeux des pouvoirs publics. Un corps intermédiaire qui ne représente pas clairement toute la profession perd du crédit, et bien vite de la légitimité.
On aurait tort enfin de croire que la considération économique de ce modèle n’a de sens financier : le leader, IAD, vient de lever 400 millions d’euros et c’est ce qui, d’un coup, émeut les plus réfractaires ou les plus indifférents à ce modèle. Non, ce regard favorable des fonds d’investissement doit être lu différemment : il veut dire que la transaction, qu’on avait coutume de considérer comme non récurrente et faiblement profitable, peut être plus robuste et valorisée à un prix élevé si l’organisation de l’activité le mérite. Pour cette raison-là aussi, ceux qui restent tentés de mettre les réseaux d’agents commerciaux indépendants au ban de la profession devraient se raviser : ils freinent la valorisation de leur propre fonds de commerce. CQFD.
Texte bleu…
Laurent MAZELIN, Gérant de Bonne étoile Immobilier